Livre un, chapitre trois.

6 octobre 2009, 10 octobre 2009.






Et maintenant disons qu’il existe une multitude de fils tendus dans l’univers reliant une multitude de points entre eux. Disons qu’il existe une multitude de fils tendus, à travers le monde, reliant entre eux une multitude de lieux et de corps. Disons qu’il existe une multitude de fils tendus , dans chaque corps, reliant entre elles une multitude de particules.

Disons que la parole a lieu, lorsqu’un certain nombre de ces fils tendus se frottent et entrent en vibration de manière à produire une chaleur qui se transforme en feu.

Disons que les corps sont des lieux, à l’intérieur desquels s’animent les particules. Disons que les corps sont des particules dont l’incessante activité modifie les lieux dans lesquels ils vivent.

Disons que les lieux sont définis par la manière qu’ils ont : 1. d’accueillir des corps ; 2. de se laisser modifier.

Disons que la parole est un corps impalpable que certains lieux accueillent.

Disons que la parole est un lieu dans le temps. Un lieu dans le temps que certains corps accueillent.

Disons que la parole est modifiée par les corps et par les lieux qui l’accueillent en même temps qu’elle les modifie.

Disons que les corps modifient les lieux. Disons que les lieux modifient les corps. Disons que la parole est un corps et un lieu modifiant sans cesse les lieux et les corps.

Disons que l’ensemble des corps modifiant sans cesse les lieux et que l’ensemble des lieux modifiant sans cesse les corps, disons que cet ensemble participe à la vie d’un monde sans cesse en reconstitution.

Disons que l’ensemble des mondes sans cesse en reconstitution s’ouvre sur l’univers.

Disons que les particules sont des étoiles. Disons que les particules sont des atomes. Disons que les corps et les mondes sont multiples.

Et maintenant, traçons chacun dans l’espace un certain nombre de fils tendus entre un certain nombre de points. Et soyons très attentifs aux frottements entre les fils tendus. Soyons très attentifs à la vibration produite par ces frottements.

La vie de l’univers. Passe par cette vibration.

La vie de l’univers. Passe par nos corps attentifs à cette vibration de fils tendus que chacun nous tissons. Entre particules, corps, lieux, et mondes.

Le vie de l’univers. Se déploie en nous par l’attention que nous portons à la multiplicité des fils tendus que chacun nous tissons.

Le vie de l’univers. Se déploie en nous par l’attention que nous portons à la vibration produite par les fils tendus, lorsqu’ils se frottent, entre eux.

Cette vibration, lorsqu’elle a lieu. Cette vibration produit à la fois : un son, et une chaleur.

Le vie. De l’univers. Se déploie pleinement en nous par l’accélération de cette vibration.

Car si la vibration produit du son, et de la chaleur. L’accélération de la vibration : change la chaleur en feu. Et le son : en parole.



***



Une parole constituée par un ensemble de fils tendus dont les frottements entre eux crée une vibration par laquelle un feu prend et se répand.

Une parole passant par un corps et rejoignant une multiplicités d’autres corps.

Une parole traversant les corps mais ne s’y arrêtant pas.

Une parole comme un mouvement incandescent à travers l’espace.

Une parole comme un mouvement incandescent à travers le temps.

Une parole comme une matière impalpable qui sonne le réveil.

Une parole comme une matière impalpable qui se fait palpable.

Une parole comme une matière en mouvement qui parcourt l’espace.

Une parole comme une matière en mouvement qui pénètre l’espace.

Une parole comme une matière en mouvement qui parcourt et pénètre le temps.

Une parole comme une matière qui se détache d’un corps.

Une parole comme une matière qui retraverse un corps.

Une parole comme une matière qui redevient un corps.

Une parole comme un corps qui pénètre une multitude d’autres corps.

Une parole comme un corps qui traverse les corps mais ne s’y arrête pas.

Une parole comme une matière qui se consume.

Une parole en feu.

Une parole en feu nécessaire au passage du temps.

Une parole en feu nécessaire au passage d’un corps.

Une parole en feu qui réanime les corps.

Une parole en feu qui attise les corps.

Une parole en feu qui en fait des aimants vibrants.

Une parole en feu qui donne aux corps ce qu’ils ne connaissent pas sans elle.

Une parole en feu comme un corps en même temps entre les corps et dans les corps.

Une parole en feu comme un corps en feu.

Une parole en feu comme un corps en feu.

Une parole en feu comme un corps en feu s’approchant d’autres corps en feu.

Une parole en feu comme un corps en feu.

Une parole en feu comme un corps en feu s’approchant d’un autre corps en feu.

Une parole en feu s’apprêtant à connaître ce qu’elle ne connaît pas sans les corps.

Une parole en feu comme deux corps en feu.

Une parole en feu comme deux corps en feu qui se touchent.


***


Et maintenant, si ton corps est en feu, c’est que tu t’approches d’un nouveau lieu.

Si ton corps est en feu, c’est que tu t’approches d’un autre lieu en feu.

Si ton corps est en feu, chaque lieu que tu approches prend feu.

Si ton corps est en feu, chaque lieu que tu approches est un nouveau foyer qui s’allume.

Si ton corps est en feu, le feu qui le consume consume toutes les vieilles matières.

Si ton corps est en feu, le feu qui le consume éclaire un nouveau corps.

Si ton corps est en feu, ton corps est un nouveau corps.

Si ton corps est en feu, tu es en train de naître.

Si ton corps est en feu, tu es en train de quitter un corps et d’en accueillir un autre.

Si ton corps est en feu, tu brûles avec le corps ancien.

Si ton corps est en feu, tu brûles dans la vieille maison et avec toi brûlent tous les corps anciens.

Si ton corps est en feu, tu gardes la mémoire.

Si ton corps est en feu, tu es le cœur d’un nouveau foyer.

Si ton corps est en feu, tu traces un récit flambant neuf, chauffé aux flammes de l’incendie des vieilles matières.

Si ton corps est en feu, tu transformes perpétuel en éternel.

Si ton corps est en feu, tu es l’impossible fil tendu par son incandescence, vivant en chaque point de l’espace où une naissance a lieu.

Si ton corps est en feu, tu es pur présent.



***



Je fais. Le récit. De la vibration émise par le frottement des fils tendus.

Fils tendus à l’intérieur des corps.

Fils tendus entre les corps.

Je fais le récit. Depuis chaque lieu. Comme depuis autant de corps tissant entre eux des fils tendus dans l’espace dont les frottements émettent des vibrations.

Je fais le récit. Depuis chaque corps. Comme depuis autant de lieux s’apprêtant à accueillir le feu.



***


Et maintenant, disons que la parole ne traverse pas les corps sans qu’une certaine violence les affecte.

Disons maintenant que la parole est le récit de cet affect.

Disons que la parole fait le récit de cette violence par laquelle un corps s’avance dans ce qui n’a encore jamais été dit.

Disons que la parole troue le silence, et modifie l’univers.

Disons que le trou qu’elle fore dans le silence participe à former une image qui n’avait encore jamais été vue.

Disons que la parole est le lieu de ce qui ne se laisse pas prévoir.

Disons que la parole est un corps par lequel certaines images affluent.

Disons que la parole tremble avec les temps imprévus.

Disons que la parole forme des images par lesquelles elle rejoint le regard.

Disons que la parole forme des images dans le feu.

Disons que la parole forme des images là où le regard sans elle ne sait pas voir.

Disons que la parole forme des images là où le regard sans elle se noie dans les larmes en répétant je ne comprends pas.

Disons que la parole est un temps par lequel un corps se détache du je ne comprends pas.


Disons que la parole se déploie dans ce qu’elle ne sait pas encore dire, et parce qu’elle s’y déploie, une jouissance en elle chante à tue-tête je ne sais pas mais j’y suis.

Et maintenant. Disons que si des larmes viennent encore à couler. Disons que ce sont des larmes qui pleurent le foyer premier. Le premier feu. Impossible à connaître sans la parole.

Disons que si des larmes viennent encore à couler. Ce sont des larmes qui pleurent après la consolation d’avoir connu la parole après le premier feu.

Si des larmes viennent encore à couler. Ce sont des larmes en certains sens qui pleurent : l’innocence qui ne vieillit pas.

Un corps en feu. Ne pleure pas. Un corps en feu. Se détache de l’innocence. Un corps en feu. Ne vieillit pas. Il brûle.